Pour ouvrir la voie à une perspective de ce genre, et pour en revenir au point de départ - c'est-à-dire comment souder la réflexion stratégique au technicisme des négociations diplomatiques en cours - il est essentiel que la Conférence intergouvernementale affronte avec courage une révision des dispositions sur la flexibilité, ou plutôt sur les coopérations "renforcées". Celles actuellement en vigueur, péniblement négociées à Amsterdam, sont peu utilisables parce qu'en garantissant tous, elles finissent justement par ne garantir personne et par encourager les coopérations en-dehors des traités et des institutions communes. Néanmoins, paradoxalement, les coopérations renforcées ne sont pas aussi importantes pour le "pilier" communautaire pour lequel elles avaient été conçues en un premier moment: au fond, si nous élargissons le recours au vote à majorité qualifiée, le marché unique imaginé il y a cinquante ans par Jean Monnet et Robert Schuman et les politiques et institutions communes qui l'accompagnent seront vraiment complétés pour pouvoir être bientôt étendus aux pays candidats. Les coopérations renforcées sont en revanche cruciales dans les nouveaux "chantiers" du processus d'intégration - justice, immigration, sécurité et défense - où l'acquis est encore entièrement à construire et où, comme il y a vingt ou trente ans pour la Communauté, un certain niveau d'homogénéité et de convergence initial est fondamental. S'il était plus facile - en ce qui concerne l'éventuel "centre de gravité" déjà évoqué - d'amorcer une coopération renforcée en utilisant éventuellement les institutions ainsi que le budget UE, cela constituerait un stimulant important pour l'"approfondissement" de l'intégration dans une Europe de plus en plus grande et diversifiée. Cela multiplierait entre autre l'effet "magnétique" du "centre de gravité": les partenaires non intéressés initialement à la coopération renforcée, ou non qualifiés, se verraient bientôt incités à adhérer pour ne pas rester exclus de ses bénéfices prévisibles (fonctionnels et politiques). Au fond, c'est ce qui s'est passé - mutatis mutandis - tant avec l'Union monétaire qu'avec Schengen qui ont fini par incorporer plus de pays qu'il n'avait été initialement prévu ou imaginé.
Bref, la grande Europe élargie a besoin d'un coeur vital: comme outil d'intégration et non de division; et comme outil ouvert aux pays intéressés à y entrer, tel qu'il en était avec la Communauté des dernières décennies.
Il s'agirait en quelque sorte d'un retour au futur, nourri de visions mais aussi d'expérience concrète - d'une nouvelle étape dans l'interminable chemin de l'Europe.
(Traduzione di Madeleine Carbonnier Santoro)