Giuliano Amato
Jacques Le Goff, célèbre historien français, a écrit une fois: "l'Europe a un nom depuis 25 siècles, mais elle en est encore au stade de projet". Et c'est à ce stade - non pas d'un seul mais de nombreux projets - qu'elle restera probablement encore longtemps, car c'est ainsi que procède l'action créatrice de la politique, au sens élevé du terme, à laquelle nous devons les passages décisifs de la construction européenne. Mais il faut justement avoir des projets et des visions stratégiques, aujourd'hui particulièrement, du fait que l'Europe paraît s'égarer au milieu des incertitudes sur le cours de l'Euro, de la perspective d'un très grand élargissement de ses frontières et des premiers signes d'une crise de confiance de la part de ses citoyens.
Le discours du ministre des Affaires étrangères allemand Fischer, vendredi dernier à l'université Humboldt, a eu, de ce point de vue, un mérite fondamental: le débat sur l'avenir de l'Europe et l'organisation de l'Union "élargie" a finalement retenu l'attention des médias et de l'opinion publique. Il n'est plus limité aux sièges académiques et aux think tanks, ni circonscrit aux bureaux des diplomates qui, depuis maintenant plusieurs semaines, négocient la révision du Traité d'Amsterdam. Et c'est un bien que les citoyens européens, le demos auquel doit se référer tout dirigeant responsable, soient informés et impliqués dans une confrontation publique plus vaste que la "finalité politique" de l'Union, au-delà des réformes, encore qu'essentielles, des mécanismes décisionnels actuellement en discussion à la Conférence intergouvernementale
© Giuliano Amato 2000
First publication in LeMonde, Paris, France, 25 May 2000