Ces raisons, nous semble-t-il, résident dans la double logique qui, dès l'origine, commande le fonctionnement des trois Communautés. D'une part, ces Communautés, fondées chacune par un traité constituent des organisations internationales au sens classique du terme en droit international public. La logique qui préside à une telle organisation est la logique intergouvernementale ou mieux, interétatique. Cela signifie que ce sont les Etats souverains qui sont les maîtres du jeu et qu'il n'y a pas de sens à parler de démocratie au sein de telles institutions car la seule légitimité qui compte est celle des Etats et de leur égalité souveraine.
Cependant, et en même temps que cette logique, une autre est en uvre dans les Communautés qui est une logique d'intégration ou, si l'on veut une logique supranationale. Celle-ci s'exprime i) dans l'institution de la Commission, ii) dans la possibilité donnée à l'autorité communautaire (Commission et Conseil) de créer du droit dérivé qui peut avoir, lorsqu'il s'agit du règlement, un effet direct total, iii) dans la création d'une Cour de justice qui par sa jurisprudence a élargi la possibilité pour tout le droit dérivé à avoir un effet direct tout en affirmant la primauté du droit communautaire sur tout le droit national. A cela il faut encore ajouter l'existence d'un parlement, élu au suffrage universel direct, et dont les pouvoirs ont été accrus par les différents traités qui sont venus réviser les traités originels.
Il en est résulté, au fur et à mesure de l'évolution de la construction communautaire, une grande confusion quant à la détermination du détenteur du Pouvoir ultime dans la Communauté: le Conseil i.e. l'organe étatique? Ou la Commission, organe supranational? Voire le Parlement européen? Ou la Cour de justice elle-même?. Une autre confusion n'a cessé de planer sur la répartition des compétences entre les Etats et la Communauté, répartition nulle part définie clairement et laissée au travail jurisprudentiel de la C.J.C.E. c'est-à-dire d'un organe voué en fait à défendre le caractère supranational de la Communauté.
D'où les reproches d'opacité des décisions et de déficit démocratique adressés aux institutions, pour ne prendre que ces reproches là. On remarquera, à ce stade, que le reproche portant sur le déficit démocratique, implique que l'on considère la Communauté (et au-delà l'Union), comme autre chose qu'une simple organisation internationale. On n'a jamais reproché aux Nations Unies, par exemple, de souffrir d'un déficit démocratique. On a pu leur reprocher la composition obsolète, selon certains, du Conseil de sécurité mais de critiques quant à la démocratie, la séparation des pouvoirs, l'Etat de droit, à notre connaissance, point. C'est que l'O.N.U. fonctionne selon la logique de l'organisation internationale, i.e. selon la logique inter-étatique.
Mais si, en revanche, on parle pour l'Union de déficit démocratique, c'est nécessairement par rapport aux citoyens de l'Union. Cela suppose que le fondement ultime de la légitimité de l'institution dont on parle est le peuple, le peuple de l'Union, le peuple qui, dans la théorie démocratique est le souverain, qui décide soit par lui-même soit par ses représentants et qui contrôle l'Exécutif. Mais la suprématie de la logique démocratique sur la logique interétatique n'est pas organisée par les traités qui, au moins dans leur rédaction initiale, donnent la suprématie à l'organe, le Conseil, qui représente la logique interétatique. Et plus la construction communautaire avance, c'est-à-dire, plus les éléments d'intégration progressent, plus la distorsion entre les deux logiques s'accroît au point de devenir insupportable. C' est ce que J. Fischer voit bien lorsqu'il constate que:
La communautarisation de l'économie et de la monnaie a créé un rapport antagoniste avec les structures politiques et démocratiques, qui restent à mettre en place...(p.4)
La solution simple (au plan logique mais non point au plan politique) à ces problèmes serait de constituer un Etat fédéral permettant de dépasser l'antagonisme de ces deux logiques et de mettre en place les institutions démocratiques et de l'Etat de droit: Parlement doté de vrais pouvoirs législatifs, un Exécutif responsable, des institutions judiciaires indépendantes et impartiales le tout reposant sur une constitution comprenant une charte des droits de l'homme. Mais c'est précisément cette solution simple que le ministre allemand s'interdit d'invoquer car il sait que sa seule mention rencontrerait auprès de certains des Etats de l'Union une hostilité telle qu'elle ne permettrait pratiquement pas la discussion.
C'est pourquoi il imagine une autre solution qu'il appelle la Fédération et non l'Etat fédéral (Föderation et non Bundesstaat). En quoi consiste cette solution, est-elle théoriquement fondée et pratiquement réalisable, c'est ce que nous allons essayer d'examiner maintenant.