De faire appel dans le Livre Blanc à un rôle accru de la Commission est compréhensible, mais aussi redondant. Compréhensible puisque nous assistons à plusieurs tentatives de marginalisation de la Commission qui par réaction défend sa place centrale dans la construction européenne. De crier « au loup » au « cheval de Troie de la méthode intergouvernamentale » au mauvais moment n'est pas toujours la meilleure politique, quand même. La nouvelle méthode s'appelle de « coordination » (et pas de coopération) justement puisque la Commission est. appelée à jouer son rôle essentiel .Et ce tout d'abord par ses multiples fonctions dans la mise en pratique de la MOC : elle présente à chaque Conseil et au Conseil européen les priorités qui seront au centre des Lignes directrices européennes; elle organise l'échange des bonnes pratiques et le peer review ; elle assure, en collaboration avec le Conseil, la rédaction du rapport annuel de synthèse à la veille un Conseil européen de printemps, elle contrôle la mise en oeuvre du suivi. En outre, la Commission -déjà depuis Maastricht- a comme charge de proposer au Conseil le rapport qui est à la base des BEPG, élément essentiel incorporé dans la nouvelle stratégie globale. La Commission enfin, -depuis Amsterdam- élabore les recommandations relatives à la Stratégie européenne pour l'emploi. Au delà des fonctions citées, la Commission est appelée à jouer un rôle politique nouveau ,au delà des Traités(d'initiative, d'exécution et de gardienne des Traités)et de ce que le Conseil lui reconnaît d'habitude (expertise, formulation des politiques, implementation ) ,même s'il ne coïncide pas avec la notion classique de gouvernement .Le point essentiel est que en l'absence d' un leadership renforcé de la Commission en alliance avec le Conseil européen et le Conseil, la stratégie de modernisation du modèle socio-économique européen n'a aucune chance d'avancer .Seule la Commission dispose des moyens techniques et organisationnels pour assurer la continuité et la relance des programmes approuvés en dépit de l'incohérence des Présidences .Les preconditions sont bien entendu une meilleure coordination interne de ses Directions générales et un "recentrage politique " sur l'essentiel de la stratégie de la modernisation.
Le Livre blanc soulève enfin une question capitale qui concerne le noyau de la construction européenne : est-ce que que la MOC perturbe « l'équilibre institutionnel» ou aboutisse « à la dilution de la réalisation d'objectifs communs énoncés par le traité ».A notre sens elle ne fait que confirmer la nature de « gouvernement mixte »(Majone) du système institutionnel de l'UE. Il s'agit en effet d'un jeu à somme positive, où chaque institution gagne des nouveaux marges de man_uvre, et bénéficie d'une valeur ajoutée, puisque l'on vise davantage de convergence européenne au niveau des sociétés selon les principes du traité. Néanmoins, la mise en valeur du Conseil européen dans le cadre de cette nouvelle dynamique de convergence mérite une réflexion. La convergence nécéssite un nouvel équilibre entre les tendances bottom -up et la coordination top-down. Par l'alliance avec le Conseil européen, la Commission peut mettre en valeur sa nature d'organe d' orientation politique et stratégique générale de l'Union et politiser son rôle de coordination des formations spécialisées du Conseil. Un nouvel équilibre est possible entre gouvernance et gouvernement dans l'UE correspondant à un nouveau modèle d' organisation des pouvoirs européens, un modèle de subsidiarité active et orientée. La gouvernance est décentralisée, mais la Commission en collaboration avec Conseil et Conseil européen constituent, chacun avec son propre rôle, les facteurs proactifs d'orientation au niveau central.
Par sa synergie avec le Conseil et le Conseil européen ,la Commission peut espérer également de coordonner les transformations des politiques publiques des Etats membres ainsi que de leur rôle dans l'intégration européenne .Dans le cadre de la combinaison originale de "negative integration" et "positive intégration" la question n'est plus celle de savoir uniquement et simplement si les systèmes nationaux de régulation pourront survivre dans le cadre nouveau de la compétition globale, mais quelles mutations du système européen de gouvernance ,y compris de l'Etat européen mais aussi d'autres niveaux d'autorité, peuvent au mieux permettre de concevoir et appliquer une réponse stratégique adéquate à la globalisation
Nous assistons en effet à une double transformation du rôle des Etats .Tous d'abord, les gouvernements et les administrations sont mis de plus en plus en réseaux ( au niveau du Conseil européen et des formations du Conseil) en ce qui concerne des domaines politiques nouveaux., et avec un rôle coordinateur et médiateur accru de la Commission. Deuxièmement ,les gouvernements nationaux sont sollicités à se réorganiser à l'intérieur ,dans le sens d'une plus grande coordination stratégique des plusieurs Ministères concernés, autour des Premier Ministres. La MOC renforce les gouvernements dans leur role de coordination interne. Les gouvernements nationaux effectivement acceptent de s'engager dans un processus qui implique des lignes directrices européennes, la fixation d'indicateurs communs ,un monitoring ,et aussi, en certains cas, des recommandations embarrassantes proposées par la Commission. Mais ils ont leur double intérêt évident :la peur de l'échec et la volonté d' améliorer les performances économiques, sociales et technologiques et l'efficacité des politiques publiques nationales (en monopolisant bien entendu les avantages de légitimation); secundo, charger sur la contrainte externe (en certains pays au moins) les aide à les coûts politiques des réformes internes les plus impopulaires. Les gouvernements peuvent donc"instrumentalisent" l'UE dans le cadre des espaces publics nationaux. Bien entendu ,les gouvernements (et ,dans certains Etats, les régions)gardent une marge importante de manoeuvre et d'autonomie, mais ils se soumettent à un cadre conditionnant visant à assurer l'action collective par l'encouragement des flux d'informations, la création de package dials et la formulation d'indicateurs pour la surveillance des politiques. Des relations " contractuelles " avec le niveau européen de la gouvernance sont également envisageables.
En acceptant de participer aux nouveau processus ,les Etats sont soumis à des transformations profondes de leurs préférences et de leurs perceptions de leurs intérêts respectifs, dans le cadre d'un processus d'apprentissage réciproque .En plus, ils prennent des risques en acceptant d'être jugés ,dans le cadre d'un learning process incluant les autorités supranationales et les acteurs transnationaux et concernant des sujets rarement abordés au niveau européen en précédence Au cas où elles soient prévues ,les recommandations de la Commission et du Conseil pourraient renforcer le poids des critiques de l'opinion publique interne, des acteurs économiques et sociaux, de l'opposition parlementaire. Last but not least, le résultat du processus sera ,vraisemblablement une convergence accrue entre les systèmes économiques et sociaux européens et une augmentation de l'imbrication institutionnelle entre autorités nationales, subnationales et communautaires .Il s'agit donc d'une évolution de la multilevel governance , avec tout ce que ceci implique en tant que socialisation mutuelle entre les cultures et sociétés nationales, les approches des politiques publiques . Les acteurs gouvernamentaux sont obligés de se confronter entre eux et avec les institutions communes et d'aller au delà des perceptions et actions trop marquées par l'histoire nationale. Bien entendu une telle multilevel governance est complexe, un vrai challenge :la Commission en tant que acteur central pourrait simplement augmenter au niveau quantitatif ses tâches additionnelles , plutôt que se recentrer sur les orientations essentielles .Si le niveau européen du processus s'éloigne des niveaux nationaux, c'est l'échec ;la dérive bureaucratique de l'exercice réitératif, pourrait paralyser le processus .Dans la meilleure des hypothèses, les autorités publiques nationales sont potentiellement impliquées dans un processus de learning réciproque au niveau européen dans le but d'améliorer les critères, d'enrichir les indicateurs, de diffuser les meilleurs pratiques
Les Etats peuvent être accompagnés dans leurs transformations par les nouvelles méthodes, sollicités à réorganiser les pouvoirs publics et développer une nouvelle cohérence de l'action publique. Il y a vingt ans, après la crise de la "planification politique nationale" on a assisté à l'émergence des théorie du "gouvernement faible" et des théories médiévalistes et yperglobalistes de la fin de l'Etat. européen, vidé de substance, de l'intérieur et de l'extérieur. Un nouveau débat es en train de s'ouvrir sur le devenir de l'Etat européen : d'un côté, les politiques communes ont touché tous les domaines des compétences étatiques, le contrôle des frontières, la police, la citoyenneté et l'immigration, la monnaie, une partie de la taxation, le gouvernement de l'économie, la politique de l'industrie, la représentation et légitimité, la politique étrangère et de sécurité . La MOC permet d'aborder aussi les dernières forteresses, 'emploi ,l'éducation, la recherche , le welfare. La souveraineté classique s'est complètement effondrée dans le monde globalisé et particulièrement dans le cadre de l'intégration européenne. Le vieil Etat européen n'existe plus .De l'autre coté ,malgré la diversité des expériences nationales , les Etats sont toujours largement maîtres des compétences des organisations supranationales ,de la législation européenne et de son application nationale. L'action publique dans le cadre de la société de connaissance, par se transforme et le pouvoir public devient le multiplicateur de la communication par la coordination des administrations .L' "Etat communicateur et surveillant" (H.Wilke,1997;R.Voigt 1998)exprime en partie la transformation profonde de la nature même du pouvoir publique qui est en train de se dérouler en Europe occidentale : il organise la décentralisation de l'exécution ,mais au même temps met en valeur la fonction de synthèse stratégique. .Les nouvelles méthodes peuvent permettre une interpenétration des gouvernements et des administrations nationales ,nettement au delà de ce qui est décrit par l'approche intergouvernamentale . Peut être sans idéalisme, mais les Etats s'adaptent aux implications de l'intégration informelle économique et sociale, aux impératives de l'innovation technologique et des contraintes budgétaires et retrouvent une nouvelle dimension de la fonction publique. La Commission se trouve là aussi devant une option stratégique face à ce " prominent space " que les Etats demeurent : elle n'est pas intéressée à affaiblir ces nouveaux pouvoirs publics nationaux ,bien au contraire à accompagner ce processus innovateur, à l'enrichir d'éléments " républicains " et à le coordonner sur le plan européen. Si on parvient à faire que les Etats mènent des politiques parallèles, on peut améliorer l'efficacité de la gouvernance européenne et sa légitimité, certes sans prétendre pouvoir créer par cela un seul impossible « Welfare State » européen. Il n'est pourtant pas exclu que les pressions internes, les défis externes, la volonté des acteurs puissent converger vers des formes nouvelles de solidarité et d'intégration.